vendredi 25 novembre 2011

La dernière piqûre...

La chienne était couchée sur son coussin dans la cuisine comme à son habitude. Elle était contente de la voir après plus d'une semaine d'absence. Depuis que ses parents avaient déménagé, la petite ne venait lui rendre visite que trop rarement. Finies les promenades avec elle. Et puis, avec ses rhumatismes, il ne lui restait plus que le jardin pour marcher tant bien que mal et faire ses besoins.
Le temps passait dans la nouvelle maison à la campagne. La douleur augmentait de jour en jour, et l'envie de se soulager de plus en plus pressante à tel point que la chienne s'oubliait sur son dodo. C'était la routine des parents : voir l'état de santé de l'animal se dégrader de jour en jour. Elle mettait parfois dix minutes pour trouver une position à peu près confortable avant de trouver le sommeil salvateur. La nuit, le jardin était bien sûr trop loin... Malgré une perte de poids énorme - plus que 34 kilos pour un dogue allemand - elle avait encore bon appétit et manifestait son bonheur de revoir des êtres aimés. Elle appréciait toujours les caresses devenues plus rares avec le temps - le chaton fait plus sensation auprès de tous les humains... 

C'était un jour comme un autre. En tout cas, pour la chienne. La mère a finalement appelé ses enfants pour leur annoncer que leur compagnonne depuis plus de 11 ans allait voir le vétérinaire pour la dernière fois le lendemain matin. La jeune fille le pressentait. Une semaine auparavant elle avait fait un rêve terrifiant dans lequel ses parents étaient partis en vacances et où la chienne mourrait dans ses bras. Comme si aujourd'hui ses parents décidaient d'abandonner l'animal et qu'il était de son devoir de l'accompagner dans sa dernière étape de la vie. Une grande injustice et colère montait en elle. Pourquoi ? La chienne est heureuse de la voir. Elle ne se doute pas que sous ses caresses se cache une terrible tristesse. 

Le réveil sonne. Non, je ne veux pas me lever. Pourquoi y aller ? Pourquoi provoquer ça ? Est-ce que c'est ce qu'elle veut, elle ?

La chienne est appelée par son maître. Chouette, une balade ! Et en plus la petite maîtresse vient avec nous avec son compagnon. Elle remue la queue de joie. Chaque seconde se dilate et fait mal. Respire, tout va bien, ne montre pas que tu as peur de l'abandonner. 

Le père se présente à l'accueil de la clinique vétérinaire. Il faut attendre avant que le bourreau prenne en charge l'ingénue. Pendant ce temps la jeune fille la promène autour du bâtiment. Elle a eu du mal à descendre de la voiture à cause de ses pattes arrières et une fois hors du véhicule elle s'est oubliée sur le parking. Mais qu'importe elle est heureuse d'être là avec ses maîtres.

Et puis la porte s'ouvre. Tout le monde s'engouffre dans le couloir de la mort sans comprendre ce qui se passe. Le vétérinaire se renseigne. En effet 11 ans et demi pour un chien dont la moyenne de vie est de 8 ans, c'est quasi inespéré. La chienne commence à se poser des questions. Elle a de l'arthrose donc ? Oui, elle souffre beaucoup. Elle claudique tout le temps, ne tient plus sur ses pattes arrières et est incontinente.
C'est donc un choix réfléchi. 
Oui. (Vraiment ?) Bien. Vous connaissez la procédure ? Je vais d'abord l'endormir, attendre une dizaine de minutes avant que le produit fasse effet avant de lui administrer le produit final. Ce sera sans douleur pour le chien. (Pour le chien). On va la placer sur la table pour la peser. La chienne commence à avoir peur.  Elle n'arrive pas à monter. Le vétérinaire et le père la soulève et la place au centre de la table froide. 34 kg. Et elle a fait 55 kg autrefois ? Oui, quand elle était plus jeune. Le vétérinaire s'absente quelques instants. La chienne tremble. Calme-toi ma puce, tout va bien. (Menteuse). Les caresses s’amplifient autant que les larmes montent. (Non, ne lui montre pas ta tristesse, elle va le sentir... trop tard...). L'homme en blanc revient avec une première seringue. Cela va lui faire un peu mal, mais ce ne sera que passager. (Je te tiens, je te serre contre moi. Je t'aime). Quelques secondes passent et le produit commence à faire effet. Elle vacille. Le père la rattrape et la replace au centre de la table. La tête s'alourdit, la langue pend hors de la bouche lâchant un flot de bave au sol. Ses yeux mi-aveugles sont à moitié ouverts, fermés. (consciente ? inconsciente ?). Je reviens d'ici 10 minutes pour la 2è piqûre. Les poils courts du chien jonchent le sol. Les mains de la jeune fille glissent sur son visage blanchi par l'âge. La truffe humide, la bave incontrôlé, la crasse naturelle, les poils vieux, tout se cumule. Mais qu'importe. Les baisers se multiplient malgré tout. Tout va bien ma puce. On t'aime. Je t'aime. Tout ira mieux après. Tu te sentiras mieux. Tu n'auras plus mal. (Est-ce vrai ?) Son regard semble vide, mais il la fixe tout de même. Qu'a-t-elle ressenti ? S'est-elle demandé "Pourquoi ? Qu'ai-je fait de mal ? Vous ne m'aimez plus ? Ne me laissez pas s'il vous plaît". Les larmes sont à la frontière des paupières. 

Il revient. Il tient une tondeuse. Il rase une petite zone au niveau de la patte avant. La chienne saigne un peu. Qu'importe. Elle va bientôt mourir. Il lui met un garrot. Il faudra le desserrer quand je vous le dirai. Le jeune homme qui accompagnait la jeune maîtresse se met en position à contre cœur. L'aiguille pénètre la peau. La pression injecte le poison doucement. Quelques secondes encore. Je t'aime, je t'aime. Essaie de lui envoyer des images positives aussi comme le fait ton ami. Ne pleure pas. Pas encore.

La chienne ne bouge plus. Après vérification, son cœur ne bat plus. Ça y est, c'est fini. Je vous laisse un peu seuls avec votre chien. Ça y est, c'est fini. C'est si simple. La vie est si fragile. Pourquoi ? N'y avait-il aucune autre solution ? On ne traite pas les humains ainsi. Mais il n' a pas d'hospice pour chiens âgés. C'était comme un sentiment d'abandon. Je ne peux pas m'occuper de toi. Je dois te laisser mourir. Comment peut-on décider de la mort d'autrui ? Est-ce vraiment pour son bien ? Quel était son avis à elle ? Voulait-elle vraiment être soulagée de ses douleurs ou préférait-elle sa vie actuelle ?

Tristesse, colère, incompréhension, rejet du choix "salvateur". Tant de questions qui assaillent notre esprit quand on est face à une situation dont la finalité ne va de toute façon pas nous plaire. Je ne te reverrai plus, mais au moins tu n'as plus mal. Je ne te reverrai plus chez mes parents au milieu de tous les chats qui te cherchent désormais, mais tu n'as plus mal. Je ne pourrai plus te dire que tu es ma toute belle et que je t'aime, mais tu n'as plus mal.

Le père paie la facture. Vous voulez la récupérer ? Non, nous avons opté pour l'incinération collective. Le corps sera rapatrié loin. Elle est morte, mais elle ne semble qu'endormie. Pas de cérémonie pour les animaux. Une fois morts, on s'en débarrasse. 

Certains diront que ce n'était qu'un chien. Pourtant les larmes furent bien plus nombreuses et violentes que tous les événements douloureux de mon passé réunis. Je n'avais jamais pleuré à cause de la mort. Car je n'avais jamais pensé que quelque part j'étais coupable d'avoir abandonné quelqu'un. (Mais tu n'as plus mal). Injustice. J'aurai mal à ta place alors. Et je penserai souvent à toi. Je t'aime toujours ma belle Orlane. R.I.P.

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